samedi 10 novembre 2012

Visite à Godenholm - Ernst Jünger

Si l'écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998) a longtemps été contesté dans son propre pays, sa notoriété n'a jamais été démentie en France, où il apparaît comme l'incarnation du dandy héroïque et raffiné, de l'officier allemand cultivé, francophile et francophone. En 1995, lors de son centième anniversaire, le Président français, François Mitterrand (1916-1996), l'invita à déjeuner au Palais de l'Elysée et souligna que Jünger était resté un "homme libre", cultivant une pensée détachée de tout poncif. 

De par sa vénérable longévité, Jünger a été témoin de l'histoire européenne du XXe siècle. Il a participé aux deux guerres mondiales : d'abord engagé en 1913, à l'âge de 18 ans, dans la Légion étrangère, héros de Verdun, récompensé par la plus haute décoration prussienne ; puis comme officier de l'administration militaire d'occupation à Paris, en 1941 au cours de laquelle il fréquente tout ce que la capitale compte alors d'intellectuels et d'artistes, collaborateurs affichés ou non.

10/18, 123 pages 
Un jour de décembre, en plein coeur de l'hiver, une barque emporte trois jeunes gens vers la petite île de Godenholm, située au large des côtes scandinaves, où vit le maître des lieux, Schwarzenberg, un vieil homme philosophe, au sourire mystérieux, grand voyageur et sage reclus. Les trois amis sont très différents : Moltner un neurologue, son ami Ejnar archéologue spécialiste de la préhistoire, qu'il a rencontré à la guerre, et la fille Ulma qui connaît Schwarzenberg depuis sa petite enfance. Dans ce pays nordique austère et gris, souvent isolé par les longues nuits d'hiver, l'atmosphère y est étrange. A leur arrivée sur l'île, ils sont introduits auprès du sage qui vit dans une ferme surmontée d'un phare. Entre rêves et enchantements, nos trois personnes sont en quête de vérité sur le sens donné à leur vie, attendant auprès du sage, la fameuse réponse...

Mon avis : publié en 1953, ce court roman est caractéristique de l'oeuvre d'Ernst Jünger. Ecrit après la Seconde guerre mondiale, le style est extrêmement lent, empreint d'une solennité et le récit se déploie avec une élégance presque songeuse, hypnotique. Ici aucune dimension politique mais l'écrivain y célèbre l'homme libre qu'incarne majestueusement Schwarzenberg. 

mardi 4 septembre 2012

Les naufragés de l'île Tromelin - Irène Frain

Née en Bretagne en 1950, agrégée de lettres classiques, Irène Frain embrasse la carrière d'enseignante à la Sorbonne à Paris. C'est tout naturellement qu'elle se consacre à l'écriture. Elle publie son premier roman Le Nabab en 1982, lequel connaît un très large succès. Forte de cette reconnaissance, elle continue à écrire ; d'autres ouvrages voient le jour. En 2009, elle publie Les Naufragés de l'île Tromelin, qui lui vaut le Prix Relay du roman d'évasion et le Grand prix Palatine du Roman Historique.

Ce roman apparaît comme un récit aussi saisissant que dramatique, nous emmenant dans l'océan indien, sur un étrange et minuscule bloc de corail, perdu au milieu de nulle part : l'île Tromelin.

J'ai lu, 341 pages
Tout commence en juillet 1761. Le capitaine Jean de Lafargue conduit "L'Utile", un navire de la Compagnie française des Indes orientales. A côté des cent quarante-deux membres d'équipage, le vaisseau transporte tout à fait illégalement une cargaison d'une centaine d'hommes, femmes et enfants Malgaches destinés à être vendus comme esclaves à l'île de France (l'île Maurice). Le navire n'arrivera pas à destination. Pris dans une violente tempête, il échoue dans les récifs qui entourent un minuscule îlot coralien, l'île des sables. Les survivants, Noirs et Blancs, doivent cohabiter et s'organisent plus au moins. Un officier, Léon Castellan, propose de construire une embarcation mais ses propres marins refusent de se lancer dans une telle entreprise. Ce sont les esclaves qui acceptent. Deux mois plus tard, pourtant, une terrible surprise les attend...

Mon avis : basé sur des faits réels, s'inspirant des résultats de fouilles d'une mission archéologique, Irène Frain nous retrace l'un des épisodes les plus sombres de l'Histoire de France, en particulier celle de son passé négrier, encore souvent méconnue pour beaucoup d'entre nous. L'écrivain a effectué un formidable travail de recherches et est parvenue à faire revivre ces personnages. Une reconstitution passionnante, une aventure humaine bouleversante, fait que cette histoire nous tient en haleine jusqu'à la fin.

Si l'auteur romance légèrement certains passages du livre en raison de la rareté des archives, le drame fait ressortir une vérité criante, une injustice qui fait corps tout au long des chapitres jusqu'au dénouement final.

C'est un bel ouvrage enrichissant que je recommande, sans hésitation, pour l'authenticité de son récit.


L'île Tromelin

mercredi 22 août 2012

A l'Ouest, rien de nouveau - Erich Maria Remarque

Erich Maria Remarque, né à Osnabrück, en Allemagne en 1898 et mort en 1970 à Locarno en Suisse, fait paraître en 1929 un roman qui lui vaut aussitôt une célébrité mondiale et demeure encore aujourd'hui un ouvrage-clef sur le premier conflit mondial, Im Westen nichts Neues, traduit en français "A l'Ouest, rien de nouveau". A leur prise de pouvoir en 1933, les nazis ne s'y trompent pas ; ils dénoncent le livre comme "trahison envers les soldats de la guerre mondiale", le brûlent solennellement et, déchoient l'auteur de sa nationalité allemande.

Le Livre de poche, 224 pages
Après avoir martelé, avec tant de conviction, des discours nationalistes et militaristes, leur professeur Kantorek pousse Paul Bäumer et tous ses camarades de classe à quitter le collège et s'engager volontairement dans l'armée allemande, à prendre part à cette terrible guerre qui oppose l'Allemagne à la France et la Grande Bretagne. Au bout de dix semaines d'entraînement intensif, Paul et ses amis découvrent l'horreur de la guerre, la brutalité de la vie au front. Obligé de mûrir d'un coup à 19 ans, Paul remet en cause son idéal patriotique et les références morales qu'on lui a inculqués. Le jeune soldat se sent soudain trahi par ses maîtres...

Mon avis : l'auteur signe avec ce roman une très belle mais tragique représentation de cette jeunesse sacrifiée sur les fronts de la Somme et des Flandres. Remarque qui, a été incorporé dans l'armée en 1916 et envoyé sur le front de l'Ouest en 1917, veut décrire et non accuser, mais la description devient par elle-même accusation, qu'elle ait pour objet les assauts à l'arme blanche, le comportement des gradés, à l'instar du cruel et imbécile caporal Himmelstoss, ou l'incompréhension suffisante des civils.

Compte tenu de la nature même des faits, bien que très réaliste et explicite (notamment les batailles dans les tranchées ou les attaques au gaz asphyxiant), l'auteur a évité de verser dans un récit sanguinolent et parvient de facto à s'abstenir de tout voyeurisme stérile. Son écriture nous bouleverse par sa justesse et son accessibilité ; une qualité indéniable du livre. On ne reste pas indifférent face à tant de vies brisées et gâchées.

mercredi 8 août 2012

Le grand Meaulnes - Alain-Fournier

Alain-Fournier, de son vrai nom Henri Alban Fournier, est né en octobre 1886 à la Chapelle d'Angillon (Cher). Il fait ses études à Paris et prépare le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure. Après son échec à l'oral de Normale, il fait son service militaire en 1907. En 1910, il est engagé comme chroniqueur littéraire à Paris-Journal. C'est à cette époque qu'il commence à rédiger quelques poèmes et contes, lesquels connaissent un certain succès. A l'automne 1913 paraît son premier roman, Le Grand Meaulnes, qui sera unanimement salué par la critique de l'époque. Août 1914, la France entre dans la première Guerre mondiale. Alain-Fournier est mobilisé en tant que lieutenant de réserve. Il est déclaré "disparu à l'ennemi" le 22 septembre 1914 dans la région de Verdun. Il avait vingt-sept ans.

Le Livre de poche, 352 pages
Augustin Meaulnes, un adolescent de dix-sept ans, fils d'une riche famille, est placé comme pensionnaire chez un instituteur de la région, un certain Monsieur Seurel. Elève du cours supérieur à Sainte-Agathe, un village proche des bords du Cher et de la Sologne, Augustin devient rapidement l'ami et le confident de François, le fils unique de l'instituteur, souffrant d'un léger handicap à la jambe qui le fait boiter. Quelques jours avant les vacances de Noël, Meaulnes disparaît. Certains pensent déjà à une fugue. Il part en fait sans autorisation à la gare récupérer les grands-parents de François. L'adolescent traverse un village de la Sologne, s'égare et arrive finalement dans un château mystérieux, dissimulé dans les sapins, où se déroulent les préparatifs d'une étrange fête à laquelle ne semblent confiés qu'enfants et adolescents. C'est là qu'Augustin croise une jeune fille, Yvonne de Galais, dont il tombera éperdument amoureux... 

Mon avis : c'est toujours avec une certaine émotion que je pense à Alain-Fournier, au destin cruel, jeté dans la barbarie de la Grande Guerre. L'auteur avait un talent évident, une plume fort agréable, exprimant une grande sensibilité de l'âme. Certes, le thème du roman n'est pas nouveau, il s'agit bien d'un récit de vie, d'amitié, d'amour et d'aventures, mais ce qui dégage du livre est une mélancolie, une atmosphère délicate, une poésie d'une qualité rare, plongeant le lecteur entre rêve et réalité. Un roman d'une grande richesse : une histoire qui reflète avec finesse les attentes, les rêves et les tourments de l'adolescence insouciante et, des personnages marquants qui nous fascinent à l'image du Grand Meaulnes, cet adolescent rêveur, énigmatique et turbulent, en quête d'aventures et de bonheur absolu.

Bien qu'il soit un "classique" de la littérature française, ce livre reste paradoxalement méconnu de notre jeunesse. On ne peut que le regretter.

A tous ceux qui hésitent encore, je vous laisse découvrir ce magnifique roman !

lundi 30 juillet 2012

Hamlet - William Shakespeare

Et si l'on parlait pour une fois de théâtre ! Une première pour ce blog... Je ne vous cache pas, chers amis lecteurs, que lire une pièce de théâtre, n'est pas chose évidente. La tâche a toujours été fastidieuse, en proie à une certaine appréhension, lorsqu'il fallait lire, au collège, par exemple une pièce de Molière. Sans doute trop jeune pour comprendre toutes les subtilités et la richesse de l'auteur. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas de Molière dont je vais vous parler aujourd'hui, mais d'un auteur de culture anglaise, considéré comme l'un des plus grands poètes et dramaturges, il s'agit de William Shakespeare (1564-1616).

J'ai découvert cet écrivain et sa pièce, Hamlet, il y a déjà une quinzaine d'années. Cette pièce, l'une des plus connues, est aussi l'une des plus longues. Elle méritait d'être présentée brièvement ici.

Librio Théâtre, 127 pages
L'histoire prend place en Scandinavie. Hamlet est le fils du roi de Danemark, remplacé sur le trône par son frère aîné Claudius. La nuit, dans les couloirs du château d'Elseneur, rode un spectre, celui du souverain défunt, qui apparaît, un jour, à son fils Hamlet, pour lui révéler qu'il est mort empoisonné par Claudius. Celui-ci, nouveau roi, a épousé la reine, Gertrude, qui n'est autre que la mère d'Hamlet. Le spectre convainc son fils d'accomplir son devoir en le vengeant de Claudius. Le prince Hamlet en est bouleversé. Pour mener à bien ce terrible châtiment et, sans éveiller le moindre soupçon, le prince feint la folie. Malgré une attitude de plus en plus insolente à l'égard de son oncle, le roi Claudius, Hamlet diffère sans cesse le passage à l'acte. Et Claudius ne tarde pas à se méfier...

Mon avis :  un très grand moment de lecture. Tous les sentiments humains se retrouvent dans cette pièce, les plus louables aux plus infâmes. Hamlet est un personnage tout en nuance, qui se complexifie, s'interrogeant sur le sens de la vie. Il illustre parfaitement la manière dont le genre humain se conduit lorsqu'il fait face à un drame. On est pris par le rythme de la pièce, son souffle. L'atmosphère qui s'y dégage est menaçante. Le lecteur se laisse porter par le plaisir de l'intrigue et de ses péripéties.

L'auteur a su donner à cette histoire une dimension unique, grâce notamment à la profondeur psychologique de ses personnages, grâce aussi à l'innovation de la pièce (la vengeance promise est sans cesse reportée).

Assurément, une oeuvre majeure et moderne, que je ne puis que vous conseiller !

mercredi 18 juillet 2012

Courir avec des ciseaux - Augusten Burroughs

Les lecteurs qui ont l'habitude de parcourir mon blog ont pu constater, avec émoi, mon absence remarquée depuis trois mois. Une pause était nécessaire, après de nombreuses soirées de lecture.

En cette période "estivale", me voilà donc de retour avec un nouveau billet, consacré à un auteur américain, Augusten Burroughs, né en 1965 à Pittsburg. Le livre, Courir avec des ciseaux, est son premier texte et peut être qualifié d'autobiographique, l'auteur y décrit son enfance et adolescence douloureuse dans les années 1970, au travers d'une éducation atypique.

10/18, 318 pages
Augusten a onze ans au début du récit. Il passe une enfance inhabituelle, entre une mère égocentrique et narcissique, un père professeur d'université alcoolique et un frère plus âgé et distant. Progressivement, le jeune adolescent assiste aux disputes violentes qui opposent ses parents. Le père finit par quitter définitivement la maison. La mère, psychologiquement instable, persuadée d'être une grande poétesse, se confie quotidiennement à un psychiatre, aux méthodes peu orthodoxes, le Docteur Finch. Elle enchaîne les épisodes psychotiques, entame une liaison avec l'épouse d'un pasteur et décide finalement d'envoyer son fils chez son propre psy. Une nouvelle vie commence alors pour Augusten au sein d'une famille où la liberté est le maître mot, où chacun est libre de ses choix...

Mon avis : un livre plutôt décevant et ennuyeux. Si l'on y relève quelques situations cocasses, l'ensemble reste assez médiocre (une écriture pas assez travaillée) et l'ambiance très malsaine. L'auteur n'épargne pas son lecteur, tout y est présenté crûment, dans le moindre détail, sans aucune prise de distance. L'auteur a voulu sans doute nous présenter les faits tels quels, à l'image de cette famille totalement délétère. Il a visiblement beaucoup souffert et nous a fait partager cette terrible souffrance...

Pitoyable à tout niveau, à oublier de toute urgence !

mardi 17 avril 2012

Les anges s'habillent en caillera - Rachid Santaki

Né en 1973 à Saint-Ouen, Rachid Santaki est le fondateur du magazine 5styles. Très actif dans le milieu associatif, il a notamment co-fondé Saint-Denis positif. En 2011, il nous propose son premier polar inspiré de la vie du "Marseillais", un jeune escroc à la ruse bien connu de Saint-Denis.

Points, 261 pages
Ilyès, dit le "Marseillais", jeune marocain du "9-3", de Saint-Denis , vient de sortir de prison après dix-huit mois. Ce voyou "hors norme" qui aime écouter Brel, Renaud ou Aznavour est considéré comme le plus doué de sa génération, une légende en banlieue. Alors que les plus jeunes du quartier des tours, vont à l'école, parce que c'est obligatoire, les autres tuent leur temps dans les trafics en tout genre : vol à l'arracher des sacs à main, vol des téléphones portables, trafics de voitures, sans oublier la drogue. Quant à Ilyès, sa passion c'est l'argent, les cartes bleues. Sa devise : se faire beaucoup d'argent en un minimum de temps. Et le jeune homme excelle dans ce domaine, il est un artiste du vol. Pour ce faire, Il repère ses proies détenteurs de Black Card. Rusé, il se renouvelle en permanence, adopte sans cesse de nouveaux scénarios afin de mieux tromper ses victimes. Et ceux-ci n'en prennent pas conscience tout de suite car le jeune homme prend le soin de remplacer la carte bancaire subtilisée par une autre identique périmée. Un jour, il ne tardera pas à rencontrer Stéphane, un flic carriériste corrompu de la police judiciaire, manipulateur et violent, déterminé à le dépouiller de son butin. Ilyès n'a alors qu'une envie : retrouver la balance qui l'a conduit derrière les barreaux...

Mon avis : l'auteur signe un roman noir plutôt réussi. L'histoire se lit assez bien et sa construction intelligente permet de maintenir une forte tension, et un rythme soutenu. L'on peut regretter toutefois l'absence de lexique ou la non-traduction de certaines expressions en verlan ou en arabe. Mais c'est ce qui fait aussi le caractère vivant de ce livre, l'auteur emploie une écriture orale, afin que le lecteur s'immerge très vite dans l'univers de la banlieue.

Si Ilyès, le "Marseillais" tient évidemment le rôle central, le personnage de Stéphane, policier ripou est fort bien travaillé. La qualité des protagonistes permet une intrigue palpitante et touchante.

Une lecture intéressante pour le plaisir.


lundi 19 mars 2012

Arrêtez-moi là ! - Iain Levison

Iain Levison est un auteur que j'ai découvert par hasard, au gré de mes passages en librairie. Né en Ecosse en 1963, Levison a vécu dix ans aux Etats-Unis. Arrêtez-moi là (titre original The Cab Driver) est l'un de ses derniers romans publiés en 2011 en France et probablement l'un des meilleurs, même si je n'ai pas encore eu l'occasion de lire les autres.


Liana Levi, 246 pages
Jeff Sutton, quadragénaire bedonnant, est chauffeur de taxi à Dallas. Il prend pour habitude d'éviter la zone de l'aéroport car, même si les courses rapportent beaucoup d'argent, il y a une interminable file de taxis qui attendent le chaland. Pourtant, un jour, il décide de tenter sa chance. Il est le troisième dans la file. De l'aéroport sort une jolie femme aisée ; elle veut se rendre à Westboro, banlieue chic de Dallas. Jeff est content, sa course lui rapportera près de cinquante dollars, sans compter le pourboire. Arrivée devant chez elle, la jolie dame s'aperçoit qu'elle n'a pas assez de monnaie et propose à Jeff d'entrer, le temps qu'elle aille chercher l'argent. Pendant ce temps, le chauffeur de taxi est autorisé à utiliser les toilettes de la maison et profite de découvrir cette agréable et cossue propriété climatisée. Il regarde notamment, avec curiosité, les fenêtres et se rappelle son ancien métier de vitrier. Après avoir récupéré le prix de la course, Jeff décide de rentrer. Pendant le trajet, il prend en charge gratuitement deux jeunes étudiantes, hagardes, particulièrement éméchées dont l'une vomira d'ailleurs sur la banquette. Jeff ne ménage pas sa peine en nettoyant à la vapeur son véhicule pour enlever la moindre odeur suspecte puis se retrouve enfin chez lui au repos. Le lendemain matin, trois policiers sonnent à sa porte et l'embarquent menoté pour l'enlèvement, l'agression sexuelle et le meurtre supposés d'une adolescente de douze ans. Alors qu'aucun corps n'est retrouvé, Jeff est humilié, enfermé pendant un an, dans l'attente de son procès. Le piège se referme sur lui, il devient le coupable idéal...

Mon avis : quand j'ai commencé la lecture, je ne pouvais ne pas penser au Procès de Franz Kafka. Le roman de Levison est un livre saisissant sur la terrible machine judiciaire américaine. L'auteur dissèque sans concession les travers, les excès et les dérives d'une justice impitoyable, justice qui n'a juste que le nom, au cynisme absolu broyant les individus. Le présumé innocent n'existe pas. Cette histoire fait d'autant plus froid dans le dos qu'elle s'inspire de faits réels qui se sont déroulés en 2002 aux Etats-Unis.

Je l'ai lu d'une seule traite, tant l'intrigue est efficace et bien ficelée. On est immédiatement plongé dans cette effrayante histoire. C'est un livre qui se laisse lire, avec beaucoup d'aisance et nourrit la réflexion. L'auteur y ajoute une pointe d'humour noire dans ce combat pour l'innocence.

Le lecteur a évidemment de l'empathie pour ce chauffeur de taxi, homme simple, sans histoire, projeté avec violence dans des événements qui le dépassent totalement. Jeff est accablé par des preuves qui n'en sont pas, des enquêteurs qui oublient de faire leur travail, sans oublier son avocat commis d'office qui joue le rôle d'un pantin blasé, peu enclin à défendre son citoyen.

Arrêtez-moi là est un livre dérangeant, remuant, utile. N'hésitez pas à le lire et à découvrir cet auteur !

lundi 27 février 2012

L'affaire de l'esclave Furcy - Mohammed Aïssaoui

Qu'est-ce qui pousse un homme à vouloir s'affranchir ? Qu'est-ce qu'on est prêt à sacrifier pour la liberté, quand on n'en connaît pas le goût ?

En 2005, par une dépêche de l'Agence France Presse, Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro littéraire, prend connaissance de l'existence des archives de "L'affaire de l'esclave Furcy" lors d'une vente aux enchères à l'hôtel Drouot à Paris. Une centaine de documents poussiéreux, achetés par l'Etat pour la somme de 2100 euros, relate une histoire extraordinaire, celle de Furcy, un esclave de l'île de la Réunion qui décide, un jour d'octobre 1817, de se rendre au tribunal pour exiger sa liberté.

C'est précisément ce procès que raconte le journaliste au travers d'une longue enquête édifiante et passionnante, aux multiples rebondissements. Le livre, paru en 2010, a reçu le Prix Renaudot.

Folio, 215 pages
Nous sommes en 1817, dans l'île Bourbon (future île de la Réunion). Magdalena, indienne illettrée de Chandernagor, et mère de deux enfants, Constance 41 ans et Furcy 31 ans, décède. A sa mort, elle laisse un maigre héritage : une malle pleine de documents. En récupérant cette liasse de papiers, les enfants découvrent avec stupéfaction que leur mère était affranchie depuis vingt-six ans. Furcy prend alors conscience qu'il est né libre. Dès lors, il veut faire reconnaître coûte que coûte son statut d'homme libre auprès de son maître, le puissant Joseph Lory. Mais celui-ci ne l'entend pas de cette oreille, d'autant que son esclave est charismatique, apprécié de tous, instruit même - il avait une place privilégié en tenant les comptes de son maître -. Furcy décide de se rendre au tribunal d'instance de Saint-Denis et dépose une requête auprès du procureur général Gilbert Boucher, secondé par le susbtitut Jacques Sully-Brunet. Ces deux hommes deviendront des alliés inattendus. Pour Lory, cette situation est inacceptable ; il considère la démarche de l'esclave comme subversive et jure qu'il ne le laissera pas faire. En homme influent, il est rapidement soutenu par le plus riche propriétaire sucrier de l'île, le commissaire ordonnateur général Desbassayns de Richemont...

Mon avis : le récit est dynamique et bien écrit. L'auteur a opté pour des chapitres courts, marqués par une narration rythmée et chronologique des événements principaux de l'affaire. Si l'on connaît peu de choses sur Furcy - il n'a laissé que peu de traces dans les archives -, Aïssaoui a su faire revivre pourtant le personnage, plus proche du lecteur.

On est fasciné par la lutte courageuse et persévérante de Furcy, son sens de l'honneur, son opiniâtreté et la justesse de son combat. L'auteur reconstitue autant que faire se peut les pièces d'un puzzle. Sa démarche n'est pas celle d'un historien (précise-t-il), mais celle d'un chroniqueur attentif et minutieux. Au contact de toutes les pièces du dossier judiciaire qu'il relate (plaidoiries, correspondances...), l'auteur a su livrer l'émotion ressentie, présentant les conditions indignes des esclaves, cet état de "vie" qui n'aurait jamais dû exister, soulignant avec authenticité tous ceux qui n'ont eu de cesse de défendre la cause de Furcy, à l'instar du procureur général Boucher, homme cultivé, baigné par les Lumières et les idées humanistes de la Révolution française, qui l'a soutenu toute sa vie jusqu'à mettre sa carrière en péril pour un procès où il n'avait rien à gagner.


J'ai été particulièrement frappé par le traitement infligé aux noirs récalcitrants. Mais comme le rappelle l'auteur du livre, par la pensée du procureur général, tout est bien moins monochrome, qu'on veut bien le croire. L'histoire de l'esclavage est complexe. Des blancs aidaient des noirs et vice versa, des noirs affranchis devenaient à leur tour chasseurs d'esclaves, asservissaient des métis et s'enrichissaient. Les musulmans n'étaient pas non plus en reste, certains avaient exercé les pires sévices... Aïssaoui ne juge pas, ne prend pas position ; il nous livre d'abord des éléments afin d'éclairer notre conscience et de nourrir notre propre réflexion sur l'attitude d'une administration coloniale dans ces contrées françaises d'Outre-Mer, sur l'esprit d'une époque où les propriétaires défendaient sans scrupule leurs intérêts, sur le fonctionnement redoutable d'un système économique où l'homme était finalement considéré comme une marchandise ("un meuble").

L'affaire de l'esclave Furcy est un travail de recherche remarquable, pour une grande et noble cause. Je conseille vivement cette lecture.

jeudi 16 février 2012

Le monde selon Garp - John Irving

C'est pour moi un premier contact avec l'écrivain américain John Irving, né en 1942 dans le New Hampshire.

Publié en France en 1978, après trois premiers romans passés relativement inaperçus, Le monde selon Garp assura sa notoriété auprès du grand public et inaugura une série de best sellers.


Points, 649 pages
Féministe indépendante et célibataire, Jenny Field est infirmière dans un hôpital militaire. Elle désire un enfant sans avoir la contrainte d'un homme dans sa vie. Elle saisit l'opportunité des derniers soubresauts d'un soldat estropié et mourant pour engendrer en catimini. Elle met au monde un garçon nommé Garp. Dans le respect des valeurs qui sont les siennes, Jenny Field élève seule Garp et devient infirmière dans un collège exclusivement réservé aux garçons, à Steering School. C'est dans cet établissement que Garp fait l'apprentissage de la vie, découvre ses premières passions : la lutte et l'écriture. Il rencontre Helen, la fille de son entraîneur de lutte, laquelle deviendra bien plus tard sa femme. Garp va réaliser ses rêves d'écrivain et porter un regard critique sur la société concupiscente qui l'entoure, tout en conciliant sa vie d'homme et l'influence que la lutte des femmes exerce sur lui...


Mon avis : il faut toujours se méfier des "succès" littéraires. Ce pavé de plus de six cents pages en est une parfaite illustration : fastidieux et indigeste. Au risque de décevoir les lecteurs qui ont pu ou su apprécier ce soi-disant "chef d'oeuvre", je n'ai pas été porté par cette histoire. J'y dénote une absence de profondeur. J'ai dû persévérer pour continuer la lecture. Ce qui est vraiment une première. Que dire de ce roman ? Les personnages sont fades, sans consistance véritable, dans des situations improbables. Les événements les concernant sont inintéressants. Peu de rebondissements, des passages de lecture atrocement longs. Bref, le lecteur s'ennuie à mourir, tourne en rond... Et c'est là sans doute le problème. Tout ça pour ça me direz vous ? Hélas oui. Je n'insisterai pas davantage sur cette critique. Ce livre n'est assurément pas une réussite. A oublier sans modération !

samedi 28 janvier 2012

Mortelles voyelles - Gilles Schlesser

Mortelles voyelles est le second roman policier de Gilles Schlesser.

Parigramme, 233pages
Oxymor Baulay, journaliste parisien quinquagénaire, écrivain à ses heures et grand spécialiste des figures de rhétorique, se fait passer pour un sans abri, le temps d'un reportage en immersion dans les rues de la capitale. Il fait la connaissance d'un certain Vaïda qui déclare être le fils du dernier roi des Gitans. Après un repas arrosé, le sans abri lui propose un curieux échange : contre une cartouche de cigarettes, Vaïda promet au journaliste de lui céder un manuscrit retrouvé dans une valise abandonnée sur un trottoir. Par curiosité, Baulay accepte la transaction. Le manuscrit intitulé "A noir", en référence au poème "Voyelles" de Rimbaud n'est pas une histoire banale. Il s'agit d'un roman sordide et dérangeant, articulé autour de cinq meurtres de femmes, assassinées de la même manière. Mais ce qui va attirer l'attention du journaliste, fin connaisseur de la langue, c'est la structure même du roman. Le verbe être n'est jamais utilisé et la lettre "y" est absente. Ses recherches vont le conduire chez un groupe d'Oulipiens, sorte d'association littéraire qui se réunit régulièrement et qui pourra peut-être lui offrir de nouvelles pistes. Entre-temps, le journaliste décide de contacter son ami et éditeur Paul, lui confie le manuscrit, celui-ci s'avoue très intéressé. Quand le roman est publié au début de l'été suivant, il devient un phénomène de librairie et des événements se sont déjà produits : Vaïda est retrouvé assassiné dans le campement des gitans et Oxymor découvre bientôt que les meurtres du manuscrit ont été rellement commis trente ans plus tôt, à la fin des années soixante-dix, par un serial-killer surnommé Hamlet...

Mon avis : le journaliste Baulay se lance dans une enquête à la fois policière et littéraire tout à fait passionnante. Les personnages sont attachants. L'auteur a su donner à son roman une dynamique qui garantit un vrai suspense. J'émettrai un petit bémol quant au dénouement trop prévisible à mon goût et une impression d'inachevé. Avec une centaine de pages supplémentaires, le roman aurait gagné sans doute en précision et en profondeur, en particulier sur la psychologie de l'auteur des crimes. Quoi qu'il en soit, le récit est original, plutôt réussi dans l'ensemble pour un roman policier et il ne devrait pas déplaire aux amateurs du genre.

samedi 14 janvier 2012

Le meilleur de l'année 2011

De retour après quelques semaines de pause... Je n'ai pas publié énormément ces dernières semaines, faute de temps. Mais je continue de lire et ma PAL ne désemplit pas non plus ! C'est sans doute là une bonne nouvelle.

Je présente à tous mes lecteurs, fidèles ou non, mes meilleurs voeux de bonheur, de joie, d'épanouissement (livresque entre autres...) et de santé. Que cette année vous soit douce et heureuse.

Il est venu le temps de faire un petit bilan des livres que j'ai particulièrement appréciés l'an dernier (et il ne s'agit pas forcément de livres parus en 2011).

Mes coups de coeur, que je vous incite à lire :







- Roger Jon Ellory, Seul le silence
- Philippe Claudel, Les Âmes grises

D'autres livres intéressants, originaux ou singuliers :
- Robin Baker, Primal
- Michel Peyramaure, Vidocq
- Aude Alix Manioc, Parenthèses ?


Bonnes lectures à tous !



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